Les lilas de Kharkov
Kharkov, en Ukraine, c’est là que ma mère est née. Elle me parlait toujours avec émotion, ce qui était rare chez elle, de ces merveilleux lilas, qui au printemps embaumaient toute la ville. D’où, ce titre qui m’est venu à l’esprit.
Ma mère, que j’ai accompagnée jusqu’au bout du cancer qui l’a emporté, m’a demandé peu avant sa mort, d’écrire et de raconter sa vie. Je n’avais jamais pensé écrire un livre.
« Maman, je n’ai jamais fait ça ! Tu penses que j’en suis capable ? »
« Absolument m’a-t-elle répondu. Tu feras ça très bien. Je le sais. Promets-le moi ! Jure-le moi ! Jure que tu le feras »
J’ai juré.
Pendant les deux années qu’ont duré sa maladie, d’hôpitaux en hôpitaux, de chambre en chambre, nous avons eu le temps de beaucoup parler. De parler vraiment. Enfin, quand elle ne souffrait pas trop.
Pour la première fois, je me suis mise à lui poser des questions auxquelles elle a répondu. À ma grande surprise, je me suis aperçue que je ne savais rien d’elle ou si peu. C’est incroyable tout de même ! Votre propre mère, celle qui vous a mise au monde, que vous avez côtoyé pendant quinze ans, vous vous apercevez qu’elle est une parfaite inconnue.
Si, bien sûr, je savais qu’elle était très belle, dure, pas affectueuse une miette. Qu’elle détestait faire la cuisine ce qu’elle considérait comme dégradant pour une femme comme elle ! Qu’elle méprisait mon père de ne pas avoir su devenir riche … Qu’elle aimait jouer au bridge. Des choses comme ça, je savais… Mais elle, Clavdia… Qui était-elle vraiment ? Elle m’ a parlé. Elle s’est racontée.
Et moi, grâce à ma très bonne mémoire, j’ai tout enregistré dans ma tête.
Après sa mort, je n’y ai plus pensé. Pendant deux ans, j’ai tout mis de côté.
J’attendais, je ne sais quoi. Puis, il s’est passé une chose troublante. J’étais invitée à un festival et, me rendant à un dîner, je croise une femme qui s’arrête, se retourne, viens vers moi et me dit comme ça : « Vous, vous devez écrire » et elle s’en va.
Je suis restée stupéfaite et même légèrement vexée. De toute évidence, elle ne savait pas qui j’étais ! Au cours de la soirée, j’en parle autour de moi, je décris cette femme et quelqu’un me dit : « Oh ! mais c’est Yaguel Didier, la célèbre voyante ! Elle a du avoir un flash ! »
Je me suis alors rappelé ma promesse. Le moment était venu. J’ai vu un éditeur qui m’a signé un contrat accompagné d’un chèque. Je devais m’y mettre. Ça a été long et difficile. J’ai recommencé un nombre incalculable de fois sans jamais être satisfaite. Et puis un jour, j’ai pris le taureau par les cornes et j’ai téléphoné à Françoise Verny en lui demandant d’avoir la gentillesse de lire et de me faire ses observations. À peine deux jours plus tard après que j’ai déposé mon manuscrit, elle m’a rappelé et fixé un rendez-vous. Nous avons parlé une heure. En sortant de chez elle, je me suis remise au boulot, c’est-à-dire que j’ai tout recommencé à zéro.
Et je suis arrivée à la version qui existe aujourd’hui. La vie de ma mère est un véritable roman. Au moment de la sortie du livre, j’ai reçu une foule de lettres. Certaines très émouvantes ?
Date de parution : 1990
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« De ma fenêtre, je te regardais marcher dans le jardin, toute frêle, si petite, vulnérable… si vieille… Tu ne te savais pas observée. Tu étais pensive. Je me demandais : Qui es-tu, maman ? Qui es-tu ? Je ne sais rien de toi ! Bientôt, tu vas partir, emmenant tes mystères. J’ai besoin de savoir ! Parle-moi… Alors que tu étais atteinte d’un mal incurable, je ne t’ai plus quittée et tu as fini par me raconter ta vie avant ma naissance. Après, tu m’as fait jurer d’écrire ton histoire. J’ai juré et tu es morte. »
Des lilas de Kharkov aux lauriers roses de Nice, la jeune Klavdia Troubnikova a tout connu : la révolution bolchévique, les glaces de Sibérie, la faim, la peur, la pauvreté, la révolte et, à l’âge de quinze ans à peine, un premier mariage raté. C’est alors qu’avec sa soeur et son fils tout bébé, elle a eu le courage d’entreprendre un voyage long et difficile, dans un cargo étouffant, pratiquement sans un sou, pour se rendre à Shanghai, ville mythique, Hollywood des années vingt. Là où tous les rêves sont permis, où les jeunes réfugiées russes peuvent survivre si, par chance, elles sont très belles…
Grâce à des photos et documents d’époque, venus s’ajouter au récit de sa mère, Mylène Demongeot a reconstitué avec ses ombres et ses lumières le portrait émouvant d’une femme à la beauté insolente et au caractère indomptable.